2000 ans de spiritualité
L'histoire du site de Boussargues, de son château et de sa chapelle commence avec la conquête de la Gaule par Jules César au 1er siècle avant notre ère. Les Romains avaient pour habitude de récompenser les vétérans de leur armée sous forme d'importants lots de terre pris sur les espaces conquis. Cette pratique contribuait à renforcer la présence romaine et avait pour double objectif la mise en valeur de terres agricoles restées jusque là sauvages avec l'introduction de la culture de la vigne et de l'olivier, et l'ancrage de structures politiques et administratives calquées sur Rome et l'Italie. Ainsi Les Romains diffusèrent dans tout le bassin méditerranéen une identité commune.
Boussargues en province de Narbonnaise fut très probablement à l'origine l'un de ces nombreux domaines attribués aux vétérans et qui dans bien des cas évolueront vers la célèbre seigneurie médiévale de la France du Sud. L'exposition et la qualité de la terre en faisait un lieu idéal de viticulture et la présence de sources et de collines favorisèrent l'installation d'une villa qui avec la chute de l'empire romain et l'insécurité grandissante évolua progressivement vers le château féodal des XIIème et XVème siècles. Des souvenirs de cet antique passé sont encore présents dans ses murailles et on déjà été révélés à l'occasion de campagnes de restauration. La qualité des pièces retrouvées est révélatrice du raffinement des bâtiments antiques. Les travaux de la terre permettent régulièrement eux aussi de faire ressurgir de nombreux éléments qui nous permettent d'attester une intense activité agricole et surtout viticole dès l'Antiquité.
Le site de Boussargues plonge ses racines aux origines même de la civilisation. Le domaine nous a été transmis depuis l'Antiquité et le Moyen-Age avec une unité qui a elle seule le rend exceptionnel.
La dimension cultuelle du site comporte elle aussi une exceptionnelle continuité à travers les âges. En plus des structures économiques, administratives et politiques, les Romains avaient également pour habitude d'implanter leur religion dans les pays conquis. Ce fut le cas à Boussargues en raison de la présence de sources. Symboles de vie surgit des mondes souterrains sombres et mystérieux, les sources revêtaient pour eux une importance particulière, spécialement dans les régions chaudes et souvent sèches du sud de la Gaule, et devenaient l'objet d'un véritable culte. Ainsi à Boussargues en contre bas de la colline, à l'endroit même où surgissait l'eau, de nombreux petits édicules dédié à une multitude de nymphes et de divinités furent édifiés et richement décorés. La source elle même fut aménagée et plusieurs bassins construits. De nombreuses traces sont encore visibles aujourd'hui. Ces espaces cultuels étaient très prisés des populations locales qui venaient invoquer les puissances divines pour favoriser les récoltes et ainsi assurer leur subsistance.
Avec l'avènement du Christianisme les pratiques ne changèrent absolument pas. La conversion de l'Empire décidée par les empereurs de Rome toucha en priorité les villes proches des voies de communication. Les campagnes dont Boussargues, furent laissées de coté et ce n'est que vers les VIIIème et IXème siècles qu'elles furent gagnées par le mouvement. Cependant, c'était sans compter sur la résistance des populations locales peu enclines à abandonner leurs traditions surtout lorsque celles ci étaient aussi étroitement liées à leur activité et à leur survie. Or l'Eglise conquérante de ce Moyen-Age désormais bien installé ne pouvait s'accommoder de pratiques païennes. Devant la résistance des campagnes elle élabora donc une véritable stratégie orientée non pas vers l'élimination mais vers la transformation, la christianisation et donc l'intégration aux coutumes chrétiennes de ces pratiques ancestrales. A Boussargues les édicules romains furent détruits et remplacés par une chapelle. Il s'agit là d'un véritable compromis. La source conservait sa signification religieuse, seuls les bâtiments changèrent. La chapelle construite au sommet de la colline pour des raisons de stabilité du terrain s'assurait en même temps par sa situation élevée un véritable symbole de domination et de triomphe. Et comme pour rendre plus douce la transition elle fut dédié à l'un des premiers martyrs chrétiens, saint Symphorien qui avait vécu à l'époque romaine. C'était désormais vers lui et non plus vers les divinités païennes que la ferveur religieuse et les prières des ruraux allaient.
La Chapelle actuelle date du XIIème siècle. Elle est classée monument historique et fut l'objet à la fin du XXème siècle d'un remarquable travail de restauration. Elle fut construite en remplacement d'un édifice plus ancien, probablement de l'époque carolingienne, dont on retrouve les traces au niveau de l'assise de l'abside et sur les murs latéraux dont l'appareillage de pierre diffère de celui utilisé au XIIème. Il est également fort probable que cette première chapelle carolingienne s'élevait elle même à l'emplacement de l'un des édicules romains.
On remarquera sur la façade sud, au dessus de la porte deux fragments de frise formant un fronton triangulaire. Il s'agit d'éléments de décoration des édicules romains disparus. Il en va de même pour la frise qui cour en hauteur à l'intérieur de la chapelle. Le style, les matériaux utilisés et les éléments disparates qui la composent ne laissent planer aucun doute quant à son origine romaine et à son réemploi. En effet une frise conçu à l'époque médiévale aurait été d'une facture différente et surtout uniforme dans la totalité de son développement. La colonnette de la fenêtre surmontant la porte d'entrée principale provient elle aussi des décorations des édicules. Elle n'est cannelée que sur une face.
On peut supposer que les ambitions au moment de la construction dépassèrent de loin les possibilités financières. Rien n'était trop beau pour marquer le triomphe du Christianisme mais n'oublions pas que l'on était en milieu rural. C'est le manque d'argent qui explique aussi et en partie les réemplois romains. Réaliser une frise aurait été trop coûteux. D'autre part la manière dont les pierres de tailles sont travaillées en surface laisse penser que l'intérieur de l'édifice devait recevoir un enduit avec comme c'était souvent le cas à l'époque un décors de fresques. La présence de très nombreux graffiti remontant pour certains aux années qui suivirent l'achèvement des travaux sont la preuve que l'enduit ne fut jamais appliqué. En effet ils se superposent directement au travail préparatoire de la pierre et aux marques de tacherons destinées à permettre d'identifier et payer les tailleurs de pierre. Ces graffitis sont d'une immense valeur historique. Ils nous rappellent que de nombreuses générations nous ont précédées en ces lieux. Ils traduisent leurs angoisses mais aussi leurs espoirs. Ils donnent vie à la chapelle.
Le visiteur attentif pourra découvrir en observant bien la bête de l'Apocalypse représentée sous forme typique d'un dragon du XIIème siècle, elle rappelle les peurs liées à l'an Mil qui accompagnèrent longtemps les Hommes du Moyen-Age. Ailleurs ce sont de véritables dessins proches des enluminures du XIVème siècle. Les monogrammes du Christ et de la Vierge appartenant à toutes les époques peuplent les murs. A l'extérieur les croix de pèlerinage rappellent que nous nous trouvons sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Plus près de nous, des étoiles de David et des noms nous indiquent que pendant la guerre des Juifs trouvèrent ici un refuge.
Vous révéler l'emplacement de tous ces témoignages du passé serait trop facile. Leur découverte se mérite et se rapproche d'une véritable "chasse au trésors", alors prenez le temps d'écouter l'histoire que nous raconte depuis des siècles, cette superbe chapelle cachée au coeur des bois et surtout sachez la regarder avec respect car elle est le miroir de notre civilisation.